dimanche 25 janvier 2009

Le choc culturel

Je me suis rappelé récemment que je n'ai jamais rédigé le feuilleton qui porte sur mon choc culturel. Puisque j'ai une soirée en solitude et que mon désir ardent de punir mon corps grassouillet à la salle de sport a été disjoncté par la visite de Samia en fin d'après-midi (et que les désirs ardents et les punitions corporelles ont pris d'autres formes), j'ai décidé de m'y mettre, un sourire vaguement débile de mâle écervelé assouvi aux lèvres en composant.

Mon Australien (tiens, ça fait un bout qu'on ne l'a pas mentionné lui. Pour ceux qui s'y intéressent, il est à Vancouver sous la neige et, étant un mec de Brisbane pour qui 15° représente un froid abominable et qui voulait s'installer au Canada, mais à un endroit où il ne neige JAMAIS, il vit son propre choc culturel. J'en suis crampé. J'imagine les néo-British sur la côte du Pacifique qui doivent pelleter leurs entrées et boire un thé chaud à neuf heures du mat) m'a averti avant mon départ que j'allais arriver en Algérie plein de bonnes intentions et de curiosité. Après deux mois, j'allais vouloir étrangler kekun (NDT* : quelqu'un). Mouaip.

N'ayant jamais quitté le continent Américain et ayant lu sur ce que j'allais trouver au Maghreb, je craignais que mon désir d'écraser un pharynx allait plutôt se pointer au bout de quelques heures. Heureusement, ma première journée fut tout à fait splendide (nonobstant le décor de ma chambre qui faisait pas pirement (NDT : plutôt) Scarface), j'ai dormi comme un bébé à une chaleur humide accablante d'octobre. J'étais VRAIMENT bien et j'étais ébahi en voyant une ville ENTIÈREMENT bétonnée qui, du haut de mon promontoire, me faisait croire qu'on a donné du LSD et un crayon à un mendiant afin de développer la planification (NDT : le planning) urbaine.

À ma deuxième journée, j'ai été traumatisé par les bécosses (NDT : les chiottes), mais j'ai éventuellement passé outre. L'accueil chaleureux de TOUS les Algériens qu'on croisait était étonnant et, bon, même avec ma bédaine, les femelles d'ici semblent me trouver pas totalement dégueu (tout un changement de ma vie de Montréalais, qui m'obligeait à porter un scaphandre dans les rues afin d'éviter de me faire jeter des denrées pourries par les fillettes épouvantées du quartier. *soupir* Ma ville me manque).

Éventuellement, j'ai quitté l'hôtel, je me suis fait des amis et, bon, vous aviez lu, la vie allait bien. Je commençais toutefois à en avoir plein le casse (NDT : ras le bol) de devoir faire cinq fois le tour de la ville pour mes emplettes. Un jour, Nabil (mon chauffeur de taxi préféré pré-acquisition-d'un-char (NDT : turevoi)-chinois) m'a reconduit au différentes salles de sport de la ville. Elles avaient toutes des horaires ridicules, qui ne fittaient (NDT : cadraient) pas du tout avec mon train de vie, car on NE PEUT PAS avoir des femmes et des hommes dans la même salle en même temps! (Heureusement, y'a des pitounes (NDT : bombes) à ma salle, alors tout baigne). Nabil m'a expliqué qu'une femme qui se montre en shorts et en chandail (NDT : aucune tabarnak d'idée. Pull? Ticheurte? Veste? Cadran? Sérieux, je ne comprends rien au parlé vestimentaire d'icitte) serré va générer des raidissements entrejambiens auprès des pauvres hommes honnêtes. Bref, il semblait dire qu'elles pourraient fort bien se faire violer, et que ce serait de leur faute.

Il faut comprendre que cette mentalité phallocentrique existe un peu partout, non pas seulement dans les pays arabes (Wassila s'est attirée des regards outrés à Washington avec son décolleté. Tout dire), mais ça m'a profondément brusqué quand même, parce que ça va parfaitement à l'encontre de ma philosophie personnelle de Québécois de par laquelle la vue des jolies femelles en tenues serrées est un PLAISIR à savourer. Me voici donc dans un pays où on justifie couramment le viol et l'abus des femmes (incluant l'abus physique), parce qu'elles le «méritent». Nabil est mon ami, et il me sort des conneries de la sorte comme si c'était normal et que J'ÉTAIS étrange de penser qu'une jolie femme a le droit inhérent de se montrer et d'attirer les regards des hommes heureux et de se flatter l'égo féminin sans craindre qu'on ne l'attaque.

Je sais, je m'attendais à bien pire. Voilà ce qui est étrange : on s'immisce dans une culture et on s'habitue à l'humanité des gens qui nous côtoient. Les Algériens étaient devenus des vraies personnes super sympas - mes amis - et non pas des caricatures lointaines. Lorsqu'on va ensuite entendre quelque chose d'abominable sortir de leurs bouches, ça heurte profondément.

Le mercredi venu, je suis sorti à la Voûte et j'ai bu. Une de ces soirées étranges où j'étais épuisé de ma semaine, je n'avais pas du tout le goût de sortir ni de consommer de l'alcool, mais après la 14e 25 cl. je me sentais tout à fait sobre. Ça a fini à 4 h 00 et (ayant profité de la générosité de mes compères la fois précédente) ça m'a coûté l'équivalent de 200 piâsses (NDT : balles. Canadiennes. Nous avons de l'argent dans le Grand Nord vous savez?). Bien entendu, lorsque la soirée était encore jeune, j'avais accepté l'invitation du blondinet mèché austral et de Madeleine, une collègue éternellement curieuse, d'aller à la Casbah. Bien entendu également, mon horloge biologique ne me laisse pas dormir après 7 h 00.

Mon état au réveil était assez pitoyable. J'avais des courses à faire (on fait nos courses le jeudi. Le vendredi, tout est fermé). Nabil m'a pris en pitié pendant que je courais aux dix-sept différents endroits acheter mes emplettes pour ma semaine. Les courses terminées et aussitôt arrivé chez moi, ayant comme seul désir de profiter de mon lit alléchant, Mon Australien m'a appelé, disant qu'ils arrivaient. Je les ai fait attendre le temps de serrer (NDT : ça se dit ici ça? Hm. J'sais pas) mes yougourts (NDT : yaourts. J'm'en souviens jamais cââââlisse (NDT : cibouère (NDT : punaise)) quand je demande à la superette) dans le frigo.

Lorsque nous sommes arrivés au musée, où il y avait une exposition tout à fait exquise (on m'avait donné le livre de l'exposition au ministère de la culture dix jours auparavent), je n'étais pas du tout dans mon assiette. Nous nous sommes ensuite baladés, guidés par notre chauffeur dans les anciens escaliers recouverts d'excréments des bêtes qui allaient être sacrifiés à l'Aïd, question d'aller manger une bouchée. Arrivés au resto, nous avions commandé des salades (en entrée pour mes amis, comme repas pour moi). Elles étaient exquises. Incroyables. J'ai mangé l'équivalent de trois baguettes en savourant les plats légumineux. Malheureusement, à quatre mètres de la porte, il y avait une MONTAGNE d'ordures (je ne crois pas exagérer dire que ça couvrait la superficie de mon appart, mais en trois fois plus haut). Au début du repas, il y avait deux ou trois guêpes qui s'attardaient à déranger Madeleine. Quinze minutes plus tard, on avait la rûche qui nous bozzait (NDT : arg. 'faites chier! - non, ce n'est pas une traduction). N'en pouvant plus, je suis sorti prendre un café à côté et griller une cloppe. En savourant un café DÉ-LI-CIEUX servi dans des conditions hygiéniques déplorables, je suis sorti regarder la montagne. Des enfants jouaient devant elle. Des piétons égocentriques marchaient dans la rue étroite et les automobilistes devaient attendre qu'ils daignent laisser un espace suffisant pour qu'on puisse passer. Je suis retourné au resto et mes collègues entamaient leur plat principal (je n'avais plus faim, mais je pouvais voir que la bouffe était bonne). Ils ont fait vite parce que les guêpes étaient intolérables.

J'ai fait comprendre à Mon Australien que je voulais retourner chez moi. Que je ne filais pas du tout. Que j'allais appeler un taxi et les laisser à leurs activités. M.A. m'a dit que ça ne lui tentait pas vraiment de continuer non plus (il avait des choses à faire et il n'était pas enchanté par l'endroit plus que moi). On a dit à Madeleine qu'elle pouvait continuer sans nous, mais elle ne voulait pas causer de remous et a insisté qu'on retourne à l'hôtel, mais tout juste après avoir visité la Cathédrale Notre-Dame-d'Afrique (une des rares églises qui a survécu à l'indépendance et où la prière Chrétienne est permise sans aucune réservation). Elle disait que c'était à cinq minutes. Mon colon bien gonflé me poussait à appeler un taxi, mais n'ayant pas réservé, Nabil pourrait fort bien me laisser traîner dans les rues arômatiques pendant une heure ou deux, voire ne pas venir. J'ai acquiésé.

L'église, en fin du compte, est en haut d'une colline qui surplombe la partie occidentale d'Alger. Dans la circulation du jeudi après-midi, ça nous a pris une heure pour faire le LONG bout de chemin pour s'y rendre. J'étais en calvaire (NDT : arrêtez de m'interrompre. Vous me mettez en calvaire). Surtout, Monsieur Lyes, notre fidèle chauffeur, est un impatient. J'allais le gifler assez solidement après son quarantième ziguezaguement infructueux.

Nous sommes arrêtés à moins d'un kilomètre de l'église. J'avais les souliers (NDT : basket. Non mais sérieux, vous trouvez RÉELLEMENT que vous parlez mieux que nous??!) recouverts d'excréments de mouflons, mais je comprends la pause. Nous étions en haut de la colline. Un recoin perdu. Une vue tout à fait imprenable sur la ville (deux fois plus haute que celle de l'hôtel). Un jeune berger est passé avec son troupeau de moutons. À Montréal, j'aurais sauté sur le plus petit et croqué un morceau (nous n'avons pratiquement pas de moutons au Québec, alors si j'avais vu cette scène à ma première semaine, j'aurais eu des larmes au yeux, provoquées par un étonnement joyeux et séraphique). Je me suis tourné vers mon ami insulaire et je lui ai dit, tout exactement : «here I am. Overlooking the Mediterranean Sea and one of the world's most exotic cities with sheep bleating behind me. I should be awed, and yet all can think of is garbage and shit» (NDT : nan, pas capable de faire passer l'idée aussi parfaitement en français. Les anglo-saxons ont une relation particulière avec la merde).

Chris (oui, c'est son nom. Il était temps que je l'écrive) m'a regardé droit dans les yeux et il m'a fait comprendre que ça faisait presque deux mois que nous sommes arrivés.

Nous avions visité l'église (brièvement. Je quémandais un départ hâtif, ayant comme argument-choc l'imminence d'une défécation accidentelle). Nous sommes allés porter mes amis à l'hôtel (il n'était pas tout à fait sur le chemin, mais il était bien plus proche que mon appart, alors j'ai courbé l'échine et j'ai serré mes sphincters), le traffic a été drôlement convenable, alors j'ai réussi à me rendre jusqu'à ma tanière sans souiller les sièges (heureusement en cuir) de notre Mercedes et, après une activité innommable mais assez évidente, je me suis écroulé sur mon lit et j'ai compris ce qu'était un choc culturel. Je voulais être chez moi, n'ayant pas de chez moi.

Après trois heures de dodo, Nawel m'a invité à descendre prendre un verre avec les amis. Je me suis remis de mon choc assez rapidement. Je suis un homme chanceux.

*Note du traducteur. Question de complaire aux désirs des lectrices algério-françaises qui, manifestement, ne comprennent rien à mes interjections québécoises. Kin. J'l'orf'rai pu.

2 commentaires:

Nina a dit…

Merci pour tes efforts de traduction ;)

Éric a dit…

GRRRRRRRRRRRR