mercredi 17 décembre 2008

Pas du tout dans mon assiette

À ce que je sache, il y a trois Algériens (Algériennes, 'vrai dire) qui lisent ce blogue. Le ton est destiné aux amis Canadiens et je ne m'en cache pas. C'est important.

L'Algérie n'est PAS une théocratie Islamique, bien qu'il y ait une mince tranche de la population (10%-20%, plus selon les régions), qui désirent ça comme destination pour le pays Libéré et qui le revendiquent depuis déjà un moment.

Il y a une ironie assez frappante ici. Les «vieux», de la génération qui s'est débattue et qui a vu périr les martyrs pour la cause, sont tout de même francisés. Ceux que je connais (et il y en a trois au Ministère avec qui je prends le lunch à tous les midis et qui sont TOUT À FAIT charmants. Si on pense au Muppet Show, ils agissent comme les deux vieux au balcon, mais la grognure est de bonne guerre et hilarante. Je les adore), se souviennent d'un Alger où on sortait et buvait et on réconciliait le haram (péché) avec la relation entre l'individu et Allah. On commettait l'adultère (ici, toute relation sexuelle - voire tout contact physique que ce soit - sans la bénédiction de la mosquée et de l'état) et on ne s'en cachait pas trop. Bref, on a gardé un vestige des moeurs français. Manifestement, Alger a connu sa gloire laïcisée mais indépendante au cours des années '70. Les choses ont pris un malheureux virage par la suite.

En 1991, un parti Islamiste a gagné aux élections et avait l'appui massif du peuple pour transformer le pays. L'armée, pour le bien ou pour le mal, a serré les écrous et a invalidé les résultats (je vous invite à lire l'histoire de sources indépendantes et mieux renseignées. Je suis fatigué. Vous allez comprendre). En bref, il y a eu quelques années «troubles».

Il n'y a pas un résident d'Alger qui n'a pas une (voire, habituellement, plusieurs) histoire abominable à conter sur cette époque. Plus de 100 000 âmes ont été perdues à une guerre guerilla fratricide. La nuit, les seuls qui circulaient dans les rues d'Alger étaient les terroristes et les braves médecins qui se rendaient à leurs devoirs. Bien entendu, hormis les soldats, la deuxième profession qui a subi le plus grand nombre de pertes de vies, c'était les docteurs.

Les bombes, les armes à feu, on se servait de méthodes de tuerie conventionnelles. Toutefois, tout bon terroriste se doit de terrifier. L'arme la plus redoutable fut le couteau acéré. On retrouvait le matin des têtes sur les pieux des clôtures en fer forgé qui entourent les rues. On égorgeait pour choquer.

L'état a éventuellement pris le dessus et, sachant qu'on ne peut pas s'attaquer à l'Islam ici, on a pardonné les responsables. On leur a même offert des compensations. Le bakchiche, question d'acheter la paix sociale.

Bien que mon moi rancunier n'aurait jamais pu tolérer une telle solution, encore moins si j'avais perdu un être cher (et, puisque la famille algérienne est si solidaire, pratiquement tout le monde en a perdu), elle a fonctionnée. L'Algérie remonte ses institutions et tente, tant bien que mal, de passer outre un traumatisme national.

En ce moment, selon mon analyse d'étranger et de témoin, il y a une course entre deux forces imposantes. L'extrémisme religieux s'alimente du désespoir et de l'ignorance. L'état tente de remonter ses institutions et l'infrastructure économique, question de minimiser l'impact du désespoir.

Mais les jeunes font partie d'une toute autre société. Un conflit d'images lubriques disponibles des satellites européens (il me faut monter des photos, mais il y a une parabolique sur TOUS les balcons d'Alger) et sur Internet - qui est disponible à tous à des prix relativement peu «chers» - et l'arabisation des jeunes, qui sont mal éduqués et qui n'ont pas le souvenir des tourments de la Libération (ni des boîtes de nuit et des bars aux coins de rue et des femmes en tenue de libérées), mais qui prennent une position irréductible face aux agressions occidentales à leurs confrères Musulmans.

Il y a un conflit profond et une course à l'arrivée. On ferme les bars pour complaire aux factions extrêmes, tout en complétant des projets de grande envergure financées par les pétrodollars (qui s'assèchent). En tant que vieux boursier qui a tendance à mesurer de telles forces matricielles à froid, je ne sais pas qui va gagner.

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La nuit dernière, nous nous sommes faits voler nos antennes paraboliques. Nawell, ma voisine, m'a appelé lorsque j'étais au resto pour le lunch. Les assurances rembourseront et, pour cela, ma première réaction fut d'espérer que tout serait en ordre pour mon football de dimanche (la seule soirée à laquelle j'allume mon téléviseur).

Note importante : les paraboliques sont sur le toit. Notre villa est emmurée. Il y a des bouteilles cassées ancrées sur les dessus des murs, version algéroise d'un système de sécurité. Ils sont rentrés pareil. Bon, c'est un vol et je ne craignais pas pour ma sécurité personnelle (de toute façon, il n'y a rien à voler, outre un téléviseur qui appartient à la proprio. J'ai réagi nonchalamment).

Ce soir, lorsque Samia (ma très délicieuse copine) m'attendait pour aller à un coquetel de son industrie (une industrie qui se rapproche de mes passions familiales. À dévoiler plus tard), Nawell m'a dit que nous devons être plus «discrets» au cours de nos ébats (la plupart de mes amis canadiens comprendront). Qu'il y a des «barbus» (islamistes intégristes) de l'autre bord du mur de ma chambre. Qu'ils ont volé les paraboliques pour lancer un message. Pour ME lancer un message. Moi. Le petit Canadien tout fin.

C'est tout ce dont elle m'a dit. Je me dois de lui parler demain.

Si Nawell a entendu ça, c'est que le quartier en parle. Si le quartier en parle, c'est que le quartier sait que je commets l'adultère (définition d'ici). L'adultère est mal vue. Le 10%-20% mentionné pense qu'on devrait appliquer les sanctions de la loi Sharia pour un tel crime commis sur le sol d'Allah.

Une personne mariée adultère, homme ou femme, recevra 100 coups de fouet (je me retiens de tout commentaire ultérieur). Une personne non-mariée adultère se mérite la lapidation.

J'ai lu sur un site maghrébain l'histoire d'une Somalienne de 13 ans qui, en revenant de chez sa grand-maman, s'est faite violer par trois hommes. Elle a rapporté le crime à la police. Elle s'est faite condamner à la lapidation. 1 000 hommes se sont pointés au stade de la ville pour voir sa mise à mort. Elle a été enterrée jusqu'à la nuque et 50 hommes lui ont lancé des pierres de taille graduellement plus grosses pendant qu'elle criait «ne me tuez pas».

...sur le site, un site DE LANGUE FRANÇAISE consulté par des lecteurs maghrébains, 13% était en accord avec la sentence. Un commentateur, fortement minoritaire, mais le plus éloquent, défendait car «il y a de l'adultère et de la prostitution sur le sol algérien».

Je dois dire, ce soir, après une magnifique soirée mondaine passée avec ma chérie, que j'ai peur. On ne touche pas aux étrangers ici, mais une femme de 25 ans qui sort de la villa d'un étranger?

J'ai bien des questions pour Nawell demain.

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