dimanche 30 novembre 2008

La crise

La première nuit s'est bien passée et je n'ai rien senti du décalage horaire (dormi samedi après-midi et gros dodo la nuit venue). Frais comme une fraise dodue et juteuse - tsé du genre ça te coule du menton et que tu le humes des heures après? Hm. Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à cette métaphore ce soir - je suis rentré au bureau pour la première fois le dimanche matin (les fins de semaines algériennes sont le jeudi et vendredi). Une seule journée de congé cette semaine-là.

Le ministère des finances algérien est un édifice neuf archi-moderne qui ressemble à un beigne en acier et en vitre bleue avec des tours décoratives et, bref, c'est cute.














Les bureaux n'ont rien de luxueux, mais les meubles sont tout au moins neufs et les ascenseurs ont clairement été conçus par des chimpanzés particulièrement imbéciles (trois personnes s'y sentent entassés, ils prennent plus de cinq minutes pour faire l'aller-retour 1er - 10e et les portes doivent appliquer 200 kilos de force sur un bras avant de lâcher prise et rouvrir).

Telle mon habitude, je calais mon eau de source. Vers 10 h 00, j'ai eu à faire ma première évacuation pipienne.

...et vlan. Le choc culturel instantané, viscéral et choquant.

Les Algériens (et les musulmans en général) doivent se présenter propres devant Allah lors des prières. Notre utilisation du papier hygiénique leur est profondément répugnante (et, bon, pour toute personne qui a eu à gérer le dégraissage d'une trace de freins dans des caleçons blancs, c'est tout à fait comprenable). Malheureusement, ils n'ont pas de facilités pour subvenir convenablement à leurs besoins d'ablutions interfessiennes au bureau, mais ils sont débrouillards.

Voici le coup d'oeil lorsque vous rentrez dans une toilette publique algérienne (nota : dans une tour à bureau moderne où tout le reste est en ordre) :

- La toilette n'a pas de siège. Non pas une toilette turque (déjà, je craignais affreusement ce machin dont j'ai tellement entendu parler de québécois voyageurs), mais bien une toilette tout à fait de chez nous, AVEC MÊME LES TROUS POUR AFFIXER LE SIÈGE, MAIS PAS DE SIÈGE, sans pose-pieds ou angle pour convenir à l'accroupissement.

- La porte - une vraie - ferme et se verrouille et il n'y a pas d'espaces vides entre les cabinets permettant d'être intimement relié psychiquement à notre voisin qui, manifestement, a mangé des légumineuses la veille (un point pour eux).

- Il y a une flaque d'eau par terre d'un centimètre de profond (minimum) qui mène au drain à l'extérieur des cabinets.

- Il y a à peine un fond d'eau dans le bol (sérieux. Une tasse max), inévitablement composé d'urines variées.

- Il y a un petit robinet à vingt centimètres du sol devant la toilette.

- LE TOPPE : il n'y a pas de chaîne. Il y a un réservoir d'eau (oh que oui!), mais aucun moyen de faire parvenir son contenu au bol. J'en demeure complètement perplexe après deux mois.

Donc, après pluisieurs entretiens francs avec des amis algériens, voici la méthodologie pour se rendre convenable à la dévotion musulmane (je vous demande pardon à l'avance, la description se doit d'être exacte pour bien livrer l'impact du moment. Âmes sensibles s'abstenir) :

- On doit s'accroupir pour chier tout en tentant de ne pas tremper son pantalon baissé dans la flaque ubique. On doit aussi avoir assez de visou pour que les évacuations tombent sur une cible de cinq centimètres par quatre. Mes amis, c'est tout un art.

- Si on a les jambes fatiguées et qu'on se doute d'avoir un raisin brun qui pend d'une grappe de poils anaux, on a le choix de toffer ou de danser le twist en espérant que ce sera suffisant pour déloger tout résidu mottoneux avant de se tenir debout et d'échapper un mini-étron sur ses pantalons.

- Lorsqu'on a terminé, on se torche en prenant une bouteille d'eau de source (habituellement retrouvée sur le réservoir, mais 'vaut mieux toujours en avoir une sur soi), la remplissant au robinet bas et se mouiller la main libre et l'utiliser - oh que oui - directement sur sa région souillée. On va ensuite répéter cette étape jusqu'à ce qu'on soit «propre» et que le plancher soit inondé. Je n'ai pas encore compris comment ils peuvent se déverser autant d'eau indirectement sur leurs derrières sans se mouiller les pantalons (il n'y a rien pour les accrocher et le réservoir est trop petit pour les y mettre dessus). M'entéka, 'faut conserver certains mystères afin de mettre du piment dans la vie.

- On va ensuite noyer notre victime odorante en vidant la bouteille dans le bol (à quelques reprises si on a le malheur d'avoir manqué la cible et que la viscosité de notre création brune soit parfaite pour adhérer à la porcelaine).

Je sais que vous ne pouvez pas concevoir les amis. Mais il y a un dernier détail qui finalise le sundae putride...

- Il n'y a pas de savon dans les toilettes (bien qu'il y ait un évier). Et je n'ai jamais vu PERSONNE en avoir sur eux lorsqu'ils entrent ou sortent. Vous comprendrez que j'ai demandé au prochain arrivant du projet en Algérie de m'acheter un stock de Purell pour que je puisse toffer l'année.

...moi qui chiâlais à propos des informaticiens (vous voyez, les histoires se suivent. C'est la marque de fine littérature ça. Mouaip. Chu hotte).

Je suis revenu à mon bureau partagé avec Annie (la grande brune) et Mon Australien. Je ressentais un mélange de nausée, de rage et de désir de revoir ma maman (qui, pour ceux qui n'ont pas encore compris, est toujours pas pirement jolie. Étrangement, mon complexe d'Oedipe semble être sous contrôle puisque je suis pleinement satisfait d'une relation affective avec une femme qui est de beaucoup ma cadette. Hm). On m'avait prévenu avant mon départ de toujours avoir mon papier à torcher sur moi, mais je croyais que c'était parce que les employés volaient le papier fourni par les concierges, non pas parce que son utlisation représentait une apostasie face à l'Islam. Mes collègues voyaient clairement que j'étais sous l'effet d'un choc limitrophe à une crise de nerfs fatale.

Mes gentils collègues ont ensuite passé la majeure partie de la journée de travail à me consoler et à me conter leurs déboires dans des pays BIEN moins civilisés que celui-ci. Quelques exemples :

- En Afghanistan, on chie ouvertement sur le bord de la rue, contre les clôtures.
- Annie a pris une charette tirée par un zébu incontinent malgache. Le zébu chiait liquide et le conducteur le guidait avec sa queue, sa main située directement dans la chute d'excréments. Une mouche est passée par le rideau brun et a attéri sur la joue de madame.
- À un ministère du Timor Oriental, on allait derrière l'édifice à la tranchée, qu'on chevauchait en posant les pieds sur deux planches de chaque côté, à la vue de tout le monde (donc, on pouvait avoir un bureau avec vue sur la mer, ou sur le trou à marde).

Bref, on trouvait ça cute que le p'tit nouveau soit aussi choqué face à des installations relativement «modernes». Toutefois, il n'y avait AUCUNE condescendance et ils étaient empathiques, se souvenant de leurs réactions face à une premìère évacuation étrangère.

J'ai signé un contrat me liant au projet, sans possibilité raisonnable de retour sur le Canada avant un an. Le soutien de mes collègues m'a donc sauvé de la pendaison en bas du balcon de l'hôtel avec une corde de chanvre roumain de la première qualité. Mon Australien, qui ne boit pas et qui ne tolère pas la cigarette, m'a tout de même accompagné, le soir venu, à la terrasse de l'hôtel pour mes cinq bières en vingt minutes, accompagné d'un demi-paquet de Marlboro Lights.

Mes premières semaines n'avaient qu'UN SEUL ET UNIQUE objectif : la gestion de ma digestion et la synchronisation de mes excrétions. Je mangeais un minuscule bol composé de quelques flocons de céréale au déjeûner (traduction pour nos amis : p'tit déj), tout juste assez pour me rendre au lunch (trad : déjeûner). Je sirotais des quarts de gorgées d'eau seulement lorsque j'avais la gorge absolument déssèchée. J'ai quand même toffé plus d'une semaine sans urgence urinaire et plus de six semaines avant de succomber à... bon, vous comprenez.

Pardonnez-moi, mais c'est un épisode important dans mon cheminement et il me fallait le partager. Parce que je suis sadique.

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